Perspectives musulmanes sur le dialogue interreligieux

Djamel Djazouli, Denis Gril et Omero Marongiu-Perria

Une table ronde animée par le frère Adrien Candiard (Idéo)

À l’Institut français d’Égypte

icon-calendar Vendredi 30 novembre 2018

S’il est vrai que le dialogue interreligieux a longtemps été à l’initiative des chrétiens, des voix musulmanes de plus en plus nombreuses se font aujourd’hui entendre, qui appellent à retrouver les fondements proprement coraniques et prophétiques de la rencontre avec les non-musulmans. Le frère Adrien Candiard, doctorant en études islamiques, a animé une table-ronde entre trois intellectuels musulmans francophones : Djamel Djazouli, spécialiste du Coran et directeur de l’Institut an-Nour à Cergy-Pontoise, Denis Gril, spécialiste du soufisme et professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille, et Omero Marongiu-Perria, sociologue des religions et chercheur à l’Institut du pluralisme religieux et de l’athéisme (IPRA).

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Si le message coranique est centré sur l’unicité de Dieu, c’est pour mieux mettre en avant la diversité que Dieu a voulue pour l’humanité, une diversité humaine de communautés et de rites qui seule peut exprimer la richesse de l’unicité divine. Au-delà des dialogues que nous pouvons avoir entre nous, et de manière plus fondamentale, Dieu est en dialogue avec l’univers.

Cette infinie profondeur divine ne peut se dire en mots simples et univoques, c’est pourquoi les versets du Coran prennent souvent la forme de paradoxes, tenant en même temps des expressions apparemment contradictoires : le Coran est la vérité ultime et Dieu seul sait qui est bien guidé ; ou encore la religion unique est l’islam et le Prophète Muḥammad intercédera pour toutes les communautés lors du jugement.

Nous sommes donc appelés à revoir nos conceptions de ce qu’est la vérité, non pas comme un contenu univoque qu’on pourrait asséner aux autres mais une réalité que chacun doit recevoir, face à laquelle chacun doit se positionner et faire des choix qui seront nécessairement différents pour chacun. L’islam appelle donc chacun à avancer sans crainte sur ce chemin qui conduit à Dieu, et à poser des choix en dialogue les uns avec les autres.

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Le Dieu immédiat

Adrien Candiard, Le Dieu immédiat. Le concept de vérité dans le Darʾ taʿāruḍ al-ʿaql wa-l-naql d’Ibn Taymiyya, Paris, Cerf, 2023. C’est en islamologue confirmé, son premier métier, que le frère Adrien Candiard livre ici ses travaux savants sur le théologien musulman ibn Taymiyya (1263-1328), revendiqué comme l’une de ses sources par l’islamisme contemporain. Cette étude magistrale et novatrice sur un auteur très cité et peu lu plonge dans les débats d’hier pour éclairer les enjeux d’aujourd’hui. Est-il un autre auteur médiéval si influent et paradoxalement si méconnu ? Figure de l’islam au tournant du XIVᵉ siècle, Taqî ad-Dîn Ahmad ibn Taymiyya est devenu l’une des références de l’islamisme contemporain. Mais quelle fut réellement sa pensée ? Et quelle peut être sa vraie actualité ? C’est en islamologue que le frère dominicain Adrien Candiard entreprend ici un déchiffrage inédit de l’oeuvre d’Ibn Taymiyya, de son traité majeur, Le rejet de la contradiction entre la raison et la tradition, de sa conception de la vérité. Il s’attache également à analyser et élucider les questions disputées à son sujet. Qu’en est-il vraiment du rejet de la théologie rationnelle, de la philosophie spéculative, de la spiritualité soufie qu’on lui attribue ? Des polémiques contre Al-Ghazali, Ibn Arabi, Averroès qu’on lui prête ? Des maux de l’islam actuel, dont on dit qu’il est la cause ? Et surtout, quelle est sa vision de Dieu ? Par-delà les appropriations postérieures, cet ouvrage à la fois érudit, passionnant et novateur fait revivre la pensée de cet auteur majeur et controversé, afin que les débats d’hier éclairent le monde d’aujourd’hui. Commandez le livre sur le site Amazon…

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Le soufisme musulman est-il par essence poétique ?

Jaafar ben el Haj Soulam L’Université ʿAbd al-Malik as-Saadi à Tétouan au Maroc icon-calendar Dimanche 23 janvier 2022 Intervenant Jaafar el Haj Soulami : Professeur de la chair d’études andalouses et marocaines de la Faculté des Lettres et des sciences humaines de l’Université ‘Abd al-Malik as-Saadi à Tétouan au Maroc. Vous êtes Docteur de l’Université Paris IV Sorbonne et de la Faculté des Lettres et des sciences humaines de Fés, vos champs de recherche sont la littérature, l’histoire médiévale et moderne, la mythologie, la pensée islamique ou encore la philologie des textes arabes. Introduction à la conférence par le frère Emmanuel Pisani Le poète Nūr al-Dīn Jāmi définit la poésie comme « un présent venu de l’autre monde ». Il est vrai que la poésie est contemplation, dépassement du regard, création, sagesse, dévoilement au point qu’elle ouvre des espaces et des horizons que l’on on ne saurait atteindre sans elle. Il n’est pas surprenant que nombreux théologiens y aient vu un lieu théologique, même parfois le lieu théologique par excellence, car elle dit l’ineffable, touche l’indicible, révèle les profondeurs de l’autre, dévoile celles du Tout-Autre. Le poète Nūr al-Dīn Jāmi définit la poésie comme « un présent venu de l’autre monde ». Il est vrai que la poésie est contemplation, dépassement du regard, création, sagesse, dévoilement au point qu’elle ouvre des espaces et des horizons que l’on on ne saurait atteindre sans elle. Il n’est pas surprenant que nombreux théologiens y aient vu un lieu théologique, même parfois le lieu théologique par excellence, car elle dit l’ineffable, touche l’indicible, révèle les profondeurs de l’autre, dévoile celles du Tout-Autre. On connait l’importance de la poésie dans l’islam : son omniprésence, dans la littérature bien sûr, mais aussi dans des traités de théologie ou encore même de grammaire. Pour autant, on souligne aussi son « ambivalence », ambivalence qui n’a pas échappé à certains théologiens dans leur appréciation théologique. C’est qu’il plane comme un soupçon sur les poètes. En soi, ce soupçon n’est pas nouveau. Platon, déjà dans La République, appelait à chasser les poètes de la cité. Les chasser, parce que leurs histoires peuvent troubler l’âme des citoyens, les chasser parce que leurs vies donnent des exemples qui peuvent être contraires à la morale. Cependant, le propos de Platon est nuancé, et, sous certaines conditions, le philosophe soutient aussi qu’elle est nécessaire à l’éducation des gardiens, et qu’elle est une musique qui a aussi ses vertus. L’islam, comme religion de la parole sublime et divine inscrite dans un livre, devrait être la religion de la poésie, de sa réhabilitation définitive. Pourtant, peut-être parce que certains poètes ont voulu rivaliser avec la texture coranique, les poètes musulmans ont aussi pu être traduits devant des tribunaux islamiques. Cependant, malgré ses condamnations, la poésie dans les mondes de l’islam est toujours présente et vivante. Que dit cette poésie ? Comment s’exprime-t-elle ? L’univers poétique de la langue arabe et des langues de l’islam peut-il transcender les particularismes propres à chaque culture ? Autrement, la poésie des soufis peut-elle rejoindre l’âme, le cœur profond de tout homme ? Est-elle cet art qui par son harmonie, par la dimension vibratoire des mots et des images parvient à atteindre l’universel ? Qu’en disent les poètes de l’islam, qu’en disent les poètes soufis ? Compte rendu de la conférence Dans un premier point, le professeur Jaafar a défini le soufisme comme l’équivalent de la mystique chrétienne. Il s’agit d’un système d’idées sunnite qui entend inscrire l’islam dans sa dimension spirituelle. Il ne s’agit pas d’opposer le soufisme à la sharia ou au dogme. Les piliers de l’islam y sont affirmés et vécus. L’adab a permis d’organiser les détails de la vie quotidienne du soufi, son rapport à l’espace, aux autres, à Dieu. La liturgie soufie, celle des prières et des récitations, est profondément linguistique. Une fois encore, elle accorde toute sa place à la langue arabe, langue sacrée qui permet de s’approcher de Dieu et de son prophète. Le professeur Jaafar remarquait que « la langue naturelle, sacrée ou non sacrée, comporte deux types d’expression : le style direct, clair, net, concret ou mécanique, et le type dépassant de loin le style direct : c’est-à-dire, l’image, la métaphore, le symbole, la parabole, c’est-à-dire tout ce qui pousse souvent à une interprétation continue ». Si le Coran repose essentiellement sur « l’exploitation de la littérarité de la langue, appelée souvent poétique, c’est-à-dire sur l’usage de la langue imagée, (أمثال أو تمثيل) métaphorique, (مجاز أو استعارة) voire symbolique, (رمز) et rythmée, (فواصل، سجع، تناسب، طباق، جناس), la langue, concrète ou métaphorique, décrit le monde, l’exprime, d’une part, et le recrée continuellement, d’une autre part ». Il en déduit que la langue est une recréation du monde concret, création du monde non concret. Le soufi par la poésie veut transformer le monde en changeant les individus, par l’infusion de la connaissance mystique à l’exemple de l’enseignement de Šaqīq al-Balḫī (II h/VIII) qui voit dans le soufisme le prolongement de la mission prophétique. Le choix de la poésie s’appuie sur la conviction que la poésie est « le genre littéraire par excellence », malgré certaines critiques coraniques. Elle permet de reconnaitre et d’une certaine manière de confesser la réalité du péché pour laquelle les musulmans ont toujours étaient prudents. Mais il y a surtout une pédagogie. Loin des traités rationnels des muʿtazilites, la poésie soufie rejoint l’âme des masses. Elle s’accompagne aussi du chant et de la musique. Il s’ensuivit une pénétration des thèmes et idées soufies non seulement auprès de l’élite mais aussi des masses. Cependant, les soufis connurent aussi la persécution sous le pouvoir sunnite en al-Andalus. Déjà au IV h /X, le califat sunnite omeyyade regardait avec méfiance la doctrine d’Ibn Masarra (m.317h/929-930), doctrine ésotérique dont ont trouve des éléments qui empruntent au shiisme ismaélite ou à la philosophie grecque d’Empédocle. En réponse à la Reconquista, les Almoravides affichèrent une politique rigoureuse pour défendre l’islam contre des interprétations jugées hétérodoxes. L’émir ʿAlī b. Yusūf, (500-537h/1106-1142) fit brûler l’Iḥyaʾ ʿulūm al-dīn, La revivification des sciences de la religion, en l’an 503h/1109-1110. Avec la prise du pouvoir par les Almohades, l’idéologie se veut plus universaliste, mais les soufis furent

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La question des femmes au centre du renouveau spirituel de l’islam

Asma Lamrabet Fondation euro-arabe de l’Université de Grenade icon-calendar Dimanche 21 février 2021 Cliquer ici pour regarder la conférence en français sur Youtube… Comme de nombreuses femmes musulmanes qui travaillent dans des réseaux intellectuels et militants (Karamah aux États-Unis, ou Musawah en Malaisie), Mᵐᵉ Asma Lamrabet tente de dépasser l’approche légaliste patriarcale mysogine qui a prévalu en Islam, en particulier à travers la jurisprudence (fiqh), en mettant en avant une approche éthique et spirituelle. Plutôt que de s’appuyer sur quelques versets (héritage, témoignage, polygamie) et d’en tirer des principes juridiques généraux pour tout ce qui concerne « la femme musulmane », la lecture éthico-réformiste revient à une lecture holistique du Coran (šumūliyya), qui prend en considération les visées de la Loi (maqāṣid al-šarīʿa) que sont entre autres le bien commun (al-maṣlaḥa al-ʿāmma), la levée de la contrainte (rafʿ al-ḥaraǧ), l’établissement de la justice (iqāmat al-ʿadl). La place de la femme doit être comprise à la lumière de valeurs coraniques générales telles que la justice (al-ʿadāla), l’équité (al-qisṭ), la compassion (al-raḥma), la probité (al-taqwā), l’amour (al-maḥabba), la sagesse (al-ḥikma), la solidarité dans le bien (al-taʿāwun ʿalā al-birr wa-l-taqwā), la protection des démunis (ḥimāyat al-mustaḍʿafīn fī al-arḍ), et non pas à la lumière de cinq ou six versets interprétés trop rapidement et érigés en principes légaux intangibles. L’espoir de renouveau que porte cette lecture éthique est au service de la libération de tous — en particulier des plus faibles — et pas seulement des femmes, qui ont été rendues totalement invisibles dans la tradition musulmane.

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