La « quatrième philosophie » d’al-Fārābī

Aziz Hilal

Docteur en philosophie arabe

icon-calendar Mardi 25 octobre 2016

farabi25oct2016Dans son Kitāb al-ǧadal, al-Fārābī (m. 339/950) évoque une « quatrième philosophie ». Par cette expression, il entend une philosophie qui soit adaptée aux non-spécialistes, qu’ils soient des techniciens d’un art particulier (médecine, grammaire, poésie…) ou de simples gens du commun (al-ǧumhūr). À la différence des trois premières philosophies (métaphysique, philosophie pratique et logique), cette quatrième philosophie s’appuie sur des prémisses communément admises (al-mašhūrāt), c’est-à-dire sur l’héritage culturel et moral commun (« la justice est meilleure que l’injustice », « l’usure est un péché », « il faut honorer ses parents »…) En d’autres termes, tout philosophe qui doit enseigner la vérité à des non-philosophes doit passer par les « sciences locales » largement partagées par eux. Cette quatrième philosophie est politique par essence et changeante. Elle est fondamentalement une pédagogie et grâce à elle, la dialectique (al- ǧadal) n’est plus considérée comme une propédeutique à la philosophia perennis mais bel et bien une philosophie à part entière.

Il a fallu attendre 1986 et la publication des trois volumes des œuvres philosophiques d’al-Fārābī par Rafīq al-ʿAǧam (Dār al-Mašriq, Beyrouth) pour que soit rétablie l’importance majeure de cet auteur en philosophie.

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Les plus vieux manuscrits du Coran

Emilio Platti Idéo, Professeur émérite de l’Université catholique de Louvain icon-calendar Mardi 24 janvier 2017 Suite à la découverte de manuscrits extrêmement anciens du Coran, et à la datation au carbone 14 des folios de Birmingham entre 568 et 645 (soit entre 56 avant l’hégire et 25 après), les chercheurs dans leur majorité refusent aujourd’hui les datations tardives des manuscrits coraniques les plus anciens proposées par exemple par John Wansbrough dans son livre intitulé Quranic studies (Oxford University Press, 1977). Patricia Crone et Michael Cook avaient eux aussi suggéré qu’il n’existait aucune indication de l’existence de corans avant la fin du 1er/7e siècle (Hagarism, Cambridge University Press, 1977). Il semblerait aujourd’hui qu’une meilleure datation serait plus proche du milieu du 1er/7e siècle, voire même avant cette date. La découverte à Ṣanʿāʾ en 1972 de très anciens manuscrits coraniques a suscité de nouvelles recherches, et les photographies ultraviolettes qui sont aujourd’hui possibles ont révélé que l’un de ces codex est en réalité un palimpseste, c’est-à-dire qu’il contient un texte plus ancien qui a été effacé et remplacé par un texte plus récent. Une première édition de ce texte effacé a été publiée par Behnam Sadeghi et Mohsen Goudarzi dans Der Islam 87 (2010) sous le titre « Ṣanʿāʾ 1 and the origin of the Qurʾān » et une analyse de ce manuscrit a été publiée entre 2008 et 2014 par Elizabeth Puin sous le titre « Ein früher Koranpalimpsest aus Ṣanʿāʾ ». Une nouvelle édition du texte doit sortir le 28 février 2017 par Asma Hilali chez Oxford University Press sous le titre The Sanaa palimpsest. Malheureusement, ces deux éditions ne contiennent le texte que des 36 folios du manuscrit de Dār al-Maḫṭūṭāt  (Ṣanʿāʾ) et pas les 40 autres folios du même codex qui ont été récemment trouvés à la Maktaba al-Šarqiyya (toujours à Ṣanʿāʾ). Il est intéressant de noter que cette version plus ancienne qui a été effacée semble être, à ce jour, la seule parmi toutes les copies du Coran qui diffère de la version canonique de ʿUṯmān. Après l’unification du texte Coranique par ʿUṯmān, les versions divergentes ont en effet été supprimées et remplacées par le texte canonique. Le palimpseste de Ṣanʿāʾ est une preuve convaincante que différentes versions de l’époque des compagnons du Prophète ont réellement existé, ce qui était bien connu de la tradition musulmane médiévale, représentée entre autres par le Kitāb al-maṣāḥif d’Ibn Abī Dāwūd.

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L’archéologie et l’eau au Maroc médiéval

Thomas Soubira Archéologue, doctorant à l’Université de Toulouse icon-calendar Lundi 19 décembre 2016 Fouillé par une équipe franco-marocaine, le site de Sidjilmasa, « port » du commerce transsaharien entre le VIIIe et le XVe siècles, se distingue par ses vestiges hydrauliques. Observables sur l’ensemble des zones de fouilles, ces structures pouvant être associées au captage, à l’adduction, au stockage de l’eau, ainsi qu’à l’évacuation des eaux usées, témoignent de la créativité humaine et de la grande diversité des techniques employées pour la gestion d’une ressource si précieuse en zone aride. Situé dans la plaine du Tafilalet, le site est occupé depuis la préhistoire. La ville de Sijilmasa—ou plus probablement l’agglomérat de maisons fortifiées—est fondée vers la moitié du VIIIe siècle par la tribu berbère des Banū Midrār et est le point de convergences de nombreuses routes caravanières. Léon l’Africain (m. 957/1550) la décrira comme ruinée au début du XVIe siècle. À la fin du XVIIIe siècle, cette même zone oasienne est aussi le berceau de la dynastie alaouite actuellement au pouvoir au Maroc. Le site de Sijilmasa ne fut préservé de la disparition que parce qu’il a été réutilisé comme cimetière par les alaouites.

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Réflexion sur l’argument du cannibalisme dans la théologie musulmane

Eric van Lit Docteur en études islamiques  Mardi 13 décembre 2016 Une petite question n’a cessé de refaire surface de siècle en siècle dans les écrits de différents théologiens musulmans (entre 80 et 90 auteurs ont été identifiés à ce jour) : que se passerait-il si une personne en mangeait une autre ? Les deux pourraient-elles ressusciter physiquement ? La première occurrence de cette question théologique date de longtemps avant l’Islam, on la trouve dans le De Resurrectione d’Athénagore au 2e siècle, et Augustin (au cinquième siècle) n’hésite pas à écrire que c’est l’argument le plus fort contre la résurrection corporelle. Elle est aussi discutée aussi par Thomas d’Aquin et beaucoup de théologiens chrétiens médiévaux. Quand al-Sayyid al-Šarīf al-Ǧurǧānī (m. 816/1413) aborde cette question, il la résout en faisant une distinction entre des parties du corps qui seraient essentielles et d’autres qui seraient non-essentielles. Ce faisant, il répond en réalité à la question anthropologique et philosophique de la définition de la personne. Quel est le lien entre notre identité en tant que personnes distinctes et notre corps ? Une autre question découle de celle-ci : qu’est-ce que la résurrection, la reconstruction d’un corps à partir de morceaux éparpillés ou une nouvelle création ? Autant de questions qui rendent le problème du cannibalisme pertinent en théologie. Certains théologiens avancent que le corps n’est qu’un instrument, et que seule l’âme sera jugée à la résurrection. ʿAlāʾ al-Dīn al-Ṭūsī (m. 877/1472) en est l’un des représentants les plus anciens. Cette position rend nulle et non avenue une discussion qui a poussé la subtilité jusqu’à se demander si les parties du corps d’un juste qui auraient été mangées par un pécheur iraient souffrir les flammes de l’enfer, étant devenues des parties de son corps.

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