Le mot āmīn en arabe

Jean Druel

Directeur de l’Idéo

icon-calendar Mardi 7 novembre 2017

Dans son bref traité intitulé Une lueur dans le débat sur le mot āmīn utilisé dans la supplication et ses règles en arabe, Ibn al-Ḫaššāb al-Baġdādī (m. 567/1172) présente l’état de l’art de la connaissance grammaticale sur le mot āmīn à son époque. Tous les grammairiens reconnaissent que āmīn n’est pas un mot arabe mais hébreu (ou persan, ou syriaque), alors même qu’il est bien attesté dans le Ḥadīṯ : le Prophète et ses compagnons concluaient la récitation de la première sourate, al-Fātiḥa, par āmīn. Cette situation a provoqué la curiosité des commentateurs coraniques et des grammairiens, qui ont étudié les questions suivantes : la validité des deux formes, longue et courte (āmīn et amīn) ; la catégorie grammaticale à laquelle appartient āmīn ; sa signification ; et la possibilité que āmīn soit un nom de Dieu.

Les grammairiens se sont mis d’accord pour analyser āmīn comme un ism fiʿl « nom de verbe » (une catégorie renvoyant aux noms propres des verbes, voir Levin 1991), en s’appuyant sur un commentaire de Muǧāhid (m. 104/722) et ʿIkrima (m. 105/723) selon lequel le duel dans le verset Qad uǧībat daʿwatukumā (Q10, Yūnus, 89) désigne l’invocation de Moïse et d’Aaron, et que l’invocation d’Aaron se résumait à āmīn. Afin que āmīn soit une invocation, il faut que ce soit une phrase complète. Cela signifie que le mot āmīn est comparable à ṣah « chut ! », qui est un « nom de verbe » dont le sens est l’impératif « Tais-toi ! » Les grammairiens ont donc interprété āmīn comme étant un « nom de verbe », et sa signification est Allāhumma staǧib « Seigneur, réponds ! »

Enfin, bien que quatre ḥadīṯs transmis par Hilāl b. Yasāf (ou Yisāf), Muǧāhid et Ḥakīm b. Ǧābir mentionnent que āmīn est un nom de Dieu, cela est contesté par Abū ʿAlī al-Fārisī (m. 377/987) et Ibn al-Ḫaššāb (m. 567/1172), mais pour des raisons différentes. Le premier dit qu’un nom invariable ne peut pas être un nom de Dieu, tandis que pour le second, c’est parce que āmīn est une phrase complète qu’il ne peut pas être un des noms de Dieu.

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Quel est l’horizon des études coraniques en Occident ? (12ᵉ‒18ᵉ siècles)

Sana Bou Antoun Doctorante à Paris‒IV Sorbonne Université icon-calendar Mardi 10 novembre 2020 Les études occidentales sur le Coran ont une histoire très ancienne, qui remonte au 12ᵉ siècle, et qu’il est important d’étudier afin de mieux comprendre les enjeux de la situation actuelle. Consistant principalement en des exercices de traduction s’accompagnant de commentaires dans lesquels s’entremêlent remarques philologiques poussées et contenu polémique, elles témoignent de la relation ambivalente existant entre Ouest et Est et partant, entre les sémitisants européens et le Coran. Plusieurs facteurs ont déclenché l’intérêt des savants en Europe au Moyen Âge pour le Coran. Certains ont tout d’abord considéré que la langue arabe pourrait leur servir à mieux comprendre l’hébreu et les autres langues sémitiques. D’autres avaient un projet d’évangélisation des musulmans. Et d’autres enfin voulaient mieux comprendre l’islam, qu’ils analysaient spontanément comme une hérésie chrétienne. Si avant le 12ᵉ siècle, le Coran ne nous était connu qu’à travers le regard des chrétiens orientaux, la traduction latine de Robert de Ketton en 1143 a donné un accès direct au texte aux savants occidentaux. Utilisant une élégante langue latine biblique, et s’appuyant sur les commentaires classiques, tel que celui d’al-Ṭabarī (m. 310/923), la traduction de Robert de Ketton entend certes réfuter le Coran, mais en le prenant au sérieux. La situation change au 14ᵉ siècle avec les savants humanistes de la Renaissance, qui sont dans un rapport conflictuel avec l’Empire ottoman, et qui insistent plus sur la dimension politique de la figure du Prophète Muḥammad que sur son message éthique et eschatologique. Les humanistes relèguent aussi l’arabe au second plan derrière l’hébreu. Les premières traductions en langues vernaculaires européennes sont éditées. L’anticléricalisme et l’antichristianisme des 17ᵉ et 18ᵉ siècles en Europe ont ensuite eu tendance à présenter l’islam comme une religion plus rationnelle que le christianisme. Quant à la position dominante de l’hébreu dans les études sémitiques, elle a été confortée par le protestantisme. Comme l’écrit John Tolan, les études coraniques en Occident ont avant tout servi de miroir à la tradition intellectuelle européenne, reflétant ses propres questions, préoccupations et débats internes sur les questions bibliques et religieuses en général.

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La mystique fait sa rentrée à l’école

Notes de travaux en cours, par Simon Conrad Doctorant à l’Université de Princeton icon-calendar Mardi 20 octobre 2020 Quand il rentre de Cambridge en 1930 avec son doctorat en poche, après neuf ans d’étude, Abū al-ʿIlā ʿAfīfī (1897–1966) est bien décidé à introduire les études soufies à l’université égyptienne. Cette idée est jugée saugrenue par ses pairs, qui veulent lui confier l’enseignement de la logique. Son travail doctoral a consisté à systématiser la pensée d’Ibn ʿArabī (m. 638/1240), qu’il a traité comme un philosophe de l’intuition, sur un pied d’égalité avec des philosophes contemporains comme James (1842‒1910) ou Bergson (1859‒1941), plutôt que comme un mystique. Si à titre personnel, c’est bien la mystique qui intéresse ʿAfīfī, définie comme la compréhension intuitive du divin, son projet académique est avant tout de proposer une analyse des textes du patrimoine arabo-musulman avec des outils contemporains. Intellectuel et mystique discret, ʿAfīfī est pourtant entré dans des débats publics avec ses contemporains sur la question de l’opposition — qu’il refusait — entre un Orient supposé spirituel et un Occident matérialiste, ou encore sur le statut épistémologique de l’intuition : il considérait qu’elle pouvait être une source de connaissance à part entière. Abū al-ʿIlā ʿAfīfī, comme d’autres penseurs qui se sont consacrés à mettre en avant la tradition mystique à son époque, constitue un chaînon manquant dans l’histoire d’une pensée arabe qui se cherche à l’époque de la décolonisation et il prépare le terrain à des penseurs plus flamboyants comme Abū al-Wafā al-Taftāzānī (1930‒1994) et ʿAbd al-Raḥmān Badawī (1917‒2002).

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