Les reliques et la topographie religieuse du Caire

Richard McGregor

Professeur en études islamiques à l’Université Vanderbild à Nashville

icon-calendar Mardi 26 novembre 2019

Grâce à l’étude précise du trajet et du destin de certaines reliques (têtes d’al-Ḥusayn, de Muḥammad b. Ibn Abī Bakr ou de ʿAlī Zayn al-ʿĀbidīn, tapis de prière, empreintes des pieds, turbans…), il est possible d’écrire une histoire de la piété musulmane et des jeux de pouvoir politique. Traditionnellement, les soufis font remonter le culte des reliques au verset coranique suivant : « Leur prophète leur dit : “Voici quel sera le signe de sa royauté : l’arche viendra vers vous, portée par des anges. Elle contient une sakina de votre Seigneur et une relique laissée par la famille de Moïse et par la famille d’Aaron. Voilà vraiment un Signe pour vous, si vous êtes croyants” » (Q. 2 (al-Baqara), 248). Parmi les sultans qui ont le plus encouragé le culte des reliques, le cas d’al-Ḥākim bi-amr Allāh (m. 411/1021) est significatif. Il fait construire des mosquées au Caire pour accueillir des reliques du Prophète qu’il a volées à Médine et organise des prières pour la crue du Nil. Au cours des siècles suivants, ces reliques seront ensuite déplacées dans d’autres lieux : le Ribāṭ al-āṯār, le mausolée d’al-Ġūrī, la mosquée d’al-Sayyida Zaynab, le ministère des Awqāf à la Citadelle, le palais de ʿAbdīn et la mosquée d’al-Ḥusayn, où elles sont aujourd’hui. Il est frappant de constater que malgré leur importance populaire et politique, il n’est pas facile de suivre les reliques dans les sources textuelles, où elles apparaissent et disparaissent constamment.

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Quel est l’horizon des études coraniques en Occident ? (12ᵉ‒18ᵉ siècles)

Sana Bou Antoun Doctorante à Paris‒IV Sorbonne Université icon-calendar Mardi 10 novembre 2020 Les études occidentales sur le Coran ont une histoire très ancienne, qui remonte au 12ᵉ siècle, et qu’il est important d’étudier afin de mieux comprendre les enjeux de la situation actuelle. Consistant principalement en des exercices de traduction s’accompagnant de commentaires dans lesquels s’entremêlent remarques philologiques poussées et contenu polémique, elles témoignent de la relation ambivalente existant entre Ouest et Est et partant, entre les sémitisants européens et le Coran. Plusieurs facteurs ont déclenché l’intérêt des savants en Europe au Moyen Âge pour le Coran. Certains ont tout d’abord considéré que la langue arabe pourrait leur servir à mieux comprendre l’hébreu et les autres langues sémitiques. D’autres avaient un projet d’évangélisation des musulmans. Et d’autres enfin voulaient mieux comprendre l’islam, qu’ils analysaient spontanément comme une hérésie chrétienne. Si avant le 12ᵉ siècle, le Coran ne nous était connu qu’à travers le regard des chrétiens orientaux, la traduction latine de Robert de Ketton en 1143 a donné un accès direct au texte aux savants occidentaux. Utilisant une élégante langue latine biblique, et s’appuyant sur les commentaires classiques, tel que celui d’al-Ṭabarī (m. 310/923), la traduction de Robert de Ketton entend certes réfuter le Coran, mais en le prenant au sérieux. La situation change au 14ᵉ siècle avec les savants humanistes de la Renaissance, qui sont dans un rapport conflictuel avec l’Empire ottoman, et qui insistent plus sur la dimension politique de la figure du Prophète Muḥammad que sur son message éthique et eschatologique. Les humanistes relèguent aussi l’arabe au second plan derrière l’hébreu. Les premières traductions en langues vernaculaires européennes sont éditées. L’anticléricalisme et l’antichristianisme des 17ᵉ et 18ᵉ siècles en Europe ont ensuite eu tendance à présenter l’islam comme une religion plus rationnelle que le christianisme. Quant à la position dominante de l’hébreu dans les études sémitiques, elle a été confortée par le protestantisme. Comme l’écrit John Tolan, les études coraniques en Occident ont avant tout servi de miroir à la tradition intellectuelle européenne, reflétant ses propres questions, préoccupations et débats internes sur les questions bibliques et religieuses en général.

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La mystique fait sa rentrée à l’école

Notes de travaux en cours, par Simon Conrad Doctorant à l’Université de Princeton icon-calendar Mardi 20 octobre 2020 Quand il rentre de Cambridge en 1930 avec son doctorat en poche, après neuf ans d’étude, Abū al-ʿIlā ʿAfīfī (1897–1966) est bien décidé à introduire les études soufies à l’université égyptienne. Cette idée est jugée saugrenue par ses pairs, qui veulent lui confier l’enseignement de la logique. Son travail doctoral a consisté à systématiser la pensée d’Ibn ʿArabī (m. 638/1240), qu’il a traité comme un philosophe de l’intuition, sur un pied d’égalité avec des philosophes contemporains comme James (1842‒1910) ou Bergson (1859‒1941), plutôt que comme un mystique. Si à titre personnel, c’est bien la mystique qui intéresse ʿAfīfī, définie comme la compréhension intuitive du divin, son projet académique est avant tout de proposer une analyse des textes du patrimoine arabo-musulman avec des outils contemporains. Intellectuel et mystique discret, ʿAfīfī est pourtant entré dans des débats publics avec ses contemporains sur la question de l’opposition — qu’il refusait — entre un Orient supposé spirituel et un Occident matérialiste, ou encore sur le statut épistémologique de l’intuition : il considérait qu’elle pouvait être une source de connaissance à part entière. Abū al-ʿIlā ʿAfīfī, comme d’autres penseurs qui se sont consacrés à mettre en avant la tradition mystique à son époque, constitue un chaînon manquant dans l’histoire d’une pensée arabe qui se cherche à l’époque de la décolonisation et il prépare le terrain à des penseurs plus flamboyants comme Abū al-Wafā al-Taftāzānī (1930‒1994) et ʿAbd al-Raḥmān Badawī (1917‒2002).

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Une première lecture du Coran des historiens (Cerf, 2019)

Adrien de Jarmy Doctorant à Sorbonne Université, titulaire de la bourse doctorale Ifao-Idéo icon-calendar Mardi 11 février 2020 Si la tradition exégétique musulmane classique considère le Coran comme un point de départ, et s’attache surtout à en expliciter les points obscurs en faisant référence à la vie et aux paroles du Prophète, la tendance contemporaine de nombreux chercheurs en Occident est de le considérer comme un point d’arrivée, c’est-à-dire comme le produit de l’Antiquité tardive, qui recueille des traditions religieuses, philosophiques et culturelles antérieures. Une troisième voie consiste à l’étudier seul, ni dans son contexte antique tardif, ni dans sa réception musulmane. Ce Coran des historiens choisit résolument cette deuxième voie, celle de l’Antiquité tardive, excluant les études de chercheurs comme Jacqueline Chabbi ou Michel Cuypers qui étudient le Coran pour lui-même, ou l’école d’Angelika Neuwirth qui ne rejette pas la tradition musulmane comme source de compréhension du texte. La vision de Guillaume Dye sur le Coran est celle d’un texte complexe, composite, ni l’œuvre d’un seul homme, ni livre fermé, mais un recueil ouvert qui se construit très progressivement en discussion avec ce contexte de l’Antiquité tardive. Contrairement à l’hagiographie musulmane qui donne au calife ʿUṯmān (m. 35/656) le rôle d’éditeur du texte sous sa version consonantique finale, Guillaume Dye identifie le règne du calife omeyyade ʿAbd al-Malik (m. 86/705) comme le contexte politique et culturel qui a le plus influencé le texte. Le Coran des historiens se compose d’un volume regroupant vingt études historiques et de deux volumes d’analyse systématique des 114 sourates du Coran. C’est un outil de travail indispensable aux chercheurs et aux lecteurs du Coran, quelle que soit leur sensibilité.

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