Eric van Lit
Docteur en études islamiques
Mardi 13 décembre 2016
Une petite question n’a cessé de refaire surface de siècle en siècle dans les écrits de différents théologiens musulmans (entre 80 et 90 auteurs ont été identifiés à ce jour) : que se passerait-il si une personne en mangeait une autre ? Les deux pourraient-elles ressusciter physiquement ?
La première occurrence de cette question théologique date de longtemps avant l’Islam, on la trouve dans le De Resurrectione d’Athénagore au 2e siècle, et Augustin (au cinquième siècle) n’hésite pas à écrire que c’est l’argument le plus fort contre la résurrection corporelle. Elle est aussi discutée aussi par Thomas d’Aquin et beaucoup de théologiens chrétiens médiévaux.
Quand al-Sayyid al-Šarīf al-Ǧurǧānī (m. 816/1413) aborde cette question, il la résout en faisant une distinction entre des parties du corps qui seraient essentielles et d’autres qui seraient non-essentielles. Ce faisant, il répond en réalité à la question anthropologique et philosophique de la définition de la personne. Quel est le lien entre notre identité en tant que personnes distinctes et notre corps ? Une autre question découle de celle-ci : qu’est-ce que la résurrection, la reconstruction d’un corps à partir de morceaux éparpillés ou une nouvelle création ? Autant de questions qui rendent le problème du cannibalisme pertinent en théologie.
Certains théologiens avancent que le corps n’est qu’un instrument, et que seule l’âme sera jugée à la résurrection. ʿAlāʾ al-Dīn al-Ṭūsī (m. 877/1472) en est l’un des représentants les plus anciens. Cette position rend nulle et non avenue une discussion qui a poussé la subtilité jusqu’à se demander si les parties du corps d’un juste qui auraient été mangées par un pécheur iraient souffrir les flammes de l’enfer, étant devenues des parties de son corps.