Coopération avec l’Université d’al-Azhar

Le 27 novembre 2016, nous avons eu la joie de signer enfin un accord-cadre de coopération avec l’Université d’al-Azhar, les deux départements francophones des facultés de Langues et traduction (garçons) et de Sciences humaines (filles). Des négociations étaient en cours depuis le mois de mars 2015. L’amitié et la persévérance des étudiants et des enseignants a eu raison des réticences administratives et idéologiques. Nous allons maintenant pouvoir organiser des activités en commun.

Le 11 et le 14 janvier 2017 ont eu lieu les deux premières réunions du comité de pilotage de l’accord de coopération entre l’université d’al-Azhar et l’Idéo. Nous nous sommes mis d’accord pour organiser un séminaire mensuel sur l’extrémisme : historique, définition et diagnostic. Nous voudrions, dans un second temps, planifier des activités communes pour essayer de relever ce défi de l’extrémisme.

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Rationalité et affectivité dans les discours religieux et extrémiste : l’exemple de la fraternité

Séminaire mixte Azhar-Idéo icon-calendar Samedi 25 mars 2017 Le samedi 25 mars a eu lieu la deuxième rencontre entre l’Idéo et le DEIF (Département des Études Islamiques en Français) à la faculté des langues et traduction (garçons) de l’université d’al-Azhar. La rencontre traitait de « la rationalité et l’affectivité dans les discours religieux et extrémiste, l’exemple de la fraternité » et approfondissait ainsi le thème de l’extrémisme lancé lors de la première rencontre en abordant une valeur religieuse précise, la fraternité. La première intervention, faite par Hazem al-Rahmany, étudiant du DEIF, consista en deux points : un tour d’horizon de l’appel à la fraternité universelle dans les textes fondateurs du judaïsme, du christianisme et de l’islam, appel cosmique mis en regard avec les discours institutionnels actuels. Si ceux du Vatican (Jean-Paul II, François) ou des cheikhs d’al-Azhar (Aḥmad al-Ṭayyib, Muṣṭafā al-Marāġī) vont dans ce sens, les organisations extrémistes comme Daesh se caractérisent au contraire par une fraternité restrictive excluant les mécréants étrangers et même les membres de la famille biologique.La deuxième intervention fut le fait de Hind Amin, assistante à la faculté des sciences humaines et détentrice d’un magister de traduction effectué à partir de l’ouvrage Le terrorisme d’Arnaud Blin. Hind se concentra sur la question : le discours religieux engendre-t-il l’extrémisme ? Elle a exposé quatre mécanismes du discours religieux : (1) amalgame entre religion et pensée, (2) retour à un principe premier universel, (3) fondement sur des ancêtres sacralisés et (4) utilisation d’affirmations péremptoires ou arguments d’autorité. Puis Hind a proposé une thèse : le discours extrémiste trouve son origine dans les idéologies révolutionnaires du xxᵉ siècle reprises par les mouvements de décolonisation. L’islamisme se situe dans cette continuité historique générale enrichie de causes spécifiques au monde arabe (question palestinienne, révolution iranienne, invasion soviétique en Afghanistan). La troisième intervention a vu parler Rémi, membre de l’Idéo. Il a proposé sur la fraternité une étude historique de ses usages en Occident depuis son origine grecque contenant déjà la dualité entre limitation à une communauté (la cité) et universalisme (chez les stoïciens puis néo-pythagoriciens), ses développements chrétiens qui, des relations dans une « maison de l’esprit », appelle à une « nouvelle création », ont vu le sens de la fraternité se recroqueviller sur les communautés chrétiennes jusqu’aux seules congrégations. La notion a subi alors la critique de Luther qui ne réussit cependant pas à la ré-universaliser, en restant à une « fraternité sainte dans le baptême ». C’est le piétisme de Johan Arndt qui, au xᴠɪɪᵉ, revient à une fraternité spirituelle, celle qui sera sécularisée par les Francs-Maçons et la Révolution française. Rémi a alors proposé une théologie chrétienne de la fraternité : par distinction d’un amour fraternel originaire, il se fonde sur les querelles fratricides de la Bible pour montrer que cet amour n’est pas originel mais toujours à construire, qu’il est une réalité du Royaume des cieux à laquelle il convient de se préparer en la construisant. Rémi a alors pu proposer le point dirimant qui détruit la fraternité en nationalité : le discours religieux affirme la fraternité comme une grâce divine qu’il convient de réaliser partout, le discours extrémiste la détient et la distribue sélectivement.La discussion qui s’ensuivit fut très riche et, de l’aveu de tous, plus approfondie et critique, signe de la construction d’une véritable réflexion commune. Un des points de césure fut l’érection ou non de la fratrie comme modèle de la fraternité : l’amour fraternel est-il une origine à retrouver ou constitue-t-il un horizon eschatologique ? Caïn est-il empreint par nature de haine envieuse ou celle-ci est-elle une perturbation d’une pureté originelle de la fratrie ? les frères sont-ils dans une relation d’amour ou de nécessité ? Faut-il alors vraiment poser la fraternité comme le modèle de la relation d’amour universel ? N’y a-t-il pas un oxymore dans la prétention à une fraternité universelle, sachant que la solidarité qu’elle exige risque alors d’être totalement dissoute ? La référence à la famille originaire que suppose l’idée de fraternité n’est-elle pas, comme l’idée de patrimoine, un conservatisme craignant d’affronter la modernité qui suppose au contraire l’auto-fondation du sujet pensant et de la communauté politique ?

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L’extrémisme : historique, définition et diagnostic

Séminaire mixte Azhar-Idéo icon-calendar Samedi 18 février 2017 La première rencontre sur la question de l’extrémisme, organisée dans le cadre de la collaboration entre l’université d’al-Azhar et l’Idéo, avait pour thème « l’extrémisme : historique, définition et diagnostic ». Tout s’est déroulé en français et la matinée de travail a été suivie d’un déjeuner au couvent. Mohammed Ashraf (doctorant de la Faculté des garçons de Langues et traductions) a présenté plusieurs définitions tirées de dictionnaires et de centres de lutte contre la radicalisation. L’extrémiste a la conviction d’avoir la vérité absolue, et est prêt à recourir à tous les moyens pour l’imposer. Il manifeste une incapacité à accepter d’autres opinions et remet en question la norme socialement acceptée. L’extrémisme est donc un phénomène relatif. Ce qui est jugé extrême dans un contexte ne le sera pas dans un autre contexte. Toute réforme est extrémiste en ce sens qu’elle remet en cause un équilibre social et religieux. En tant qu’il bouscule l’équilibre social de la Mecque, le Prophète peut être qualifié d’extrémiste. Le problème de l’extrémisme n’est donc pas tant son potentiel réformateur que son potentiel de violence. Pacynthe el Hadidy (maître-assistante de la Faculté féminine des Sciences humaines) a soulevé des questions similaires : si l’extrémisme consiste en l’éloignement par rapport à un centre, qui définit ce centre ? Toute doctrine génère ses extrémistes, que ce soit en politique, en économie, en religion. Le problème principal de l’extrémisme est dans le passage à l’acte violent, mais même dans ce cas, tout est question de point de vue. Les résistants des uns sont les terroristes des autres. L’extrémiste qui commet un acte violent se sent autorisé à faire le mal pour un bien supérieur. Le potentiel de violence que contient l’extrémisme repose souvent sur une déshumanisation de l’adversaire, un refus du dialogue, un sentiment d’impuissance ou de désespoir face à la situation. Guillaume de Vaulx (chercheur à l’Idéo) a opté pour une approche plus philosophique. Il est parti de la définition suivante du concept d’extrémisme : « déviance à une norme sociale qui se fait au nom de la norme même ». Cette définition contient en son sein le problème : comment lutter contre cette déviance qui se prétend la plus normale ? Trois attitudes sont possibles : Dénonciation de l’extrémisme de l’action (la valeur qui sert de norme n’est pas touchée). Dénonciation de l’hérésie de l’interprétation qui la fonde (l’interprétation orthodoxe de la valeur qui sert de norme est précisée). Dénonciation de la valeur elle-même et révolution sociale refondant les normes. Ainsi, sur le nationalisme, pour reprendre l’exemple pris par Pacynthe, on peut s’interroger : le meurtre d’Isaac Rabin est-il juste un acte extrémiste ? le fait d’un sionisme religieux à dénoncer contre le sionisme laïc des fondateurs ? une preuve de l’invalidité même du sionisme (et de tout nationalisme) ? À cette analyse sociologique, a succédé un questionnement philosophique : avec la première attitude, l’extrémisme signifie que les valeurs ne sont pas des idéaux mais des juste milieux. On retrouve ici l’opposition de l’aristotélisme au platonisme. Cela implique que la valeur n’est pas bonne en soi, qu’on ne doit pas la cultiver intensément (alors que la beauté, la vérité, etc sont des absolus auxquels on tend, sans excès possible), bref, la valeur est dévalorisée. D’où l’appel de Guillaume à repartir des idéaux pour nos séances de travail (la vérité, la piété, etc sont des absolus). La discussion qui a suivi ces trois exposés a porté sur les questions suivantes : comment évaluer l’ordre social ou religieux établi et mesurer ce qui s’en écarte à l’extrême ? Est-ce que le passage à l’acte violent est le seul problème ou bien faut-il s’opposer aux extrêmes non violents ? Une définition de l’extrémisme est proposée par Guillaume : « L’extrémisme est une déviance de la norme (religieuse, sociale, économique, politique…) faite au nom de cette norme même qu’il souhaite promouvoir à l’extrême. Ce faisant, l’extrémisme force la norme a reconsidérer ses propres idéaux, face au potentiel de violence qu’ils peuvent manifester quand ils sont poussés à l’extrême. » La prochaine rencontre est fixée au samedi 25 mars prochain à 10 heures à la Faculté des langues et traduction.

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