Sana Bou Antoun
Doctorante à Paris‒IV Sorbonne Université
icon-calendar Mardi 10 novembre 2020
Les études occidentales sur le Coran ont une histoire très ancienne, qui remonte au 12ᵉ siècle, et qu’il est important d’étudier afin de mieux comprendre les enjeux de la situation actuelle. Consistant principalement en des exercices de traduction s’accompagnant de commentaires dans lesquels s’entremêlent remarques philologiques poussées et contenu polémique, elles témoignent de la relation ambivalente existant entre Ouest et Est et partant, entre les sémitisants européens et le Coran.
Plusieurs facteurs ont déclenché l’intérêt des savants en Europe au Moyen Âge pour le Coran. Certains ont tout d’abord considéré que la langue arabe pourrait leur servir à mieux comprendre l’hébreu et les autres langues sémitiques. D’autres avaient un projet d’évangélisation des musulmans. Et d’autres enfin voulaient mieux comprendre l’islam, qu’ils analysaient spontanément comme une hérésie chrétienne.
Si avant le 12ᵉ siècle, le Coran ne nous était connu qu’à travers le regard des chrétiens orientaux, la traduction latine de Robert de Ketton en 1143 a donné un accès direct au texte aux savants occidentaux. Utilisant une élégante langue latine biblique, et s’appuyant sur les commentaires classiques, tel que celui d’al-Ṭabarī (m. 310/923), la traduction de Robert de Ketton entend certes réfuter le Coran, mais en le prenant au sérieux.
La situation change au 14ᵉ siècle avec les savants humanistes de la Renaissance, qui sont dans un rapport conflictuel avec l’Empire ottoman, et qui insistent plus sur la dimension politique de la figure du Prophète Muḥammad que sur son message éthique et eschatologique. Les humanistes relèguent aussi l’arabe au second plan derrière l’hébreu. Les premières traductions en langues vernaculaires européennes sont éditées.
L’anticléricalisme et l’antichristianisme des 17ᵉ et 18ᵉ siècles en Europe ont ensuite eu tendance à présenter l’islam comme une religion plus rationnelle que le christianisme. Quant à la position dominante de l’hébreu dans les études sémitiques, elle a été confortée par le protestantisme.
Comme l’écrit John Tolan, les études coraniques en Occident ont avant tout servi de miroir à la tradition intellectuelle européenne, reflétant ses propres questions, préoccupations et débats internes sur les questions bibliques et religieuses en général.